La Tate Modern consacre une grande exposition, complète et convaincante, à la grande peintre américaine Georgia O’Keeffe (1887-1986). Figure essentielle du XXe siècle et de la peinture américaine, elle a souvent été ramenée à ses seuls tableaux de fleurs agrandies. Elles sont devenues des icones populaires, en posters, avec leur chromatisme vigoureux et leur sensualité voilée. Beaucoup (des hommes) y ont vu des connotations sexuelles qu’elle-même a toujours refusées avec vigueur.
L’expo à la Tate replace cette série dans un parcours très créatif, singulier et magnifique sur la fin avec ses paysages de désert d’une beauté stupéfiante. Une exposition, reflet de la personnalité forte de cette femme farouchement indépendante qui mourut presque centenaire.
Elle était née dans le Wisconsin et y vécut ses douze premières années dans la ferme de ses parents, baignée par le jaune des blés et le rythme de la vie rustique. Tôt, elle décide de devenir artiste et, à vingt ans, en 1907 elle poursuit ses cours à New York, y découvrant l’avant-garde européenne exposée par la galerie d’Alfred Stieglitz, la « 291 » sur la Fifth avenue. C’est là qu’elle admire Rodin, Cézanne et Matisse et apprend à lire Kandinsky. Elle deviendra la compagne puis l’épouse du photographe et galeriste Stieglitz.
Oriental Poppies, 1927
Pourquoi des fleurs
Ses premiers travaux, inspirés des écrits de Kandinsky, partent du réel mais sont des compositions abstraites. Quand elle s’installe à New York avec Stieglitz et devient sa muse, si souvent choisie comme sujet de ses photos–nue ou habillée, elle change encore radicalement et peint de manière très réaliste la ville, ses gratte-ciel, son port. Avant de changer encore et de se lancer dans ses célèbres séries de fleurs fortement agrandies peintes dans des couleurs posées en épaisseur, donnant une consistance presque charnelle.
Des fleurs à la fois quasi abstraites et très précises, dans des verts pâles, des roses et des rouges. On y a vite vu, inspirés par les théories freudiennes, des connotations sexuelles, à ces étamines et pistils géants. Elle s’est toujours opposée violemment à cette interprétation. « Une fleur, dit-elle, c’est relativement petit. Une fleur, l’idée de fleur, cela parle à tout le monde. Pourtant, d’une certaine manière personne ne voit vraiment une fleur, c’est si petit et cela prend du temps. Alors moi, je vais la peindre en grand et les gens seront si surpris qu’ils prendront le temps de la regarder même à New York où les gens sont si occupés. »
En 1927, elle a 40 ans, subit deux délicates opérations au sein et vit mal que Stieglitz s’intéresse à une autre femme. Elle part alors au Colorado, puis au Nouveau Mexique qu’elle sillonne avec la femme de Paul Strand et avec le photographe Ansel Adams. Elle découvre les canyons profonds, les sommets boisés, les déserts dramatiques et la lumière intense des déserts. « Au Nouveau-Mexique, dit-elle, ce n’est pas la lumière qui tombe sur les choses mais les choses qui apparaissent dans la lumière. »
Black Mesa Landscape, New Mexico 1930
Presque abstraits
Dans les quelque soixante années qu’elle passera là, elle tentera surtout de cerner ces paysages. Seuls les formes des os blanchis au soleil apparaissent nets. Ou alors, c’est le contour d’une porte ou d’une maison en adobe. Le reste est une variation de bruns et de blancs, de formes liquéfiées par la lumière, d’aplats ponctués de tâches et de failles.
Elle combine les crânes de bêtes trouvés dans le désert et les paysages qui retrouvent la beauté de certaines estampes japonaises. La lumière se fait vaporeuse et brillante. Georgia O’Keeffe découvre la beauté d’un ciel moutonneux vu d’avion. Parfois un orage menace au lointain. Parfois, ses tableaux retrouvent l’abstraction.
Une peinture méditative qu’elle pratiqua jusqu’à sa mort à 99 ans, à Santa Fé, aux portes du désert.
Georgia O’Keeffe, Tate Modern, jusqu’au 30 octobre 2016
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